Comment lire des pavés?
Voilà un grand défi pour beaucoup. Si se mettre à la lecture et en faire une habitude régulière peut être en soi représenter une difficulté, certaines montagnes sont plus difficiles à gravir que d'autres. En tout cas, elles sont plus intimidantes. Alors comment faire pour lire des gros livres ? Comment rester motivé et arriver au bout de la lecture d'un monument de 400-500-1000 pages, phrase après phrase, chapitre après chapitre ? C'est ce que nous allons voir dans cet article.
1. Se fixer un objectif de pages par jour
Voilà un conseil très scolaire et qui semble un peu bête, mais c'est celui qui a toujours fonctionné le mieux pour moi. Un gros livre, c'est avant tout un nombre de pages fini, aussi grand soit-il. Chacun à son niveau, il nous est possible de décider d'un nombre de pages journalières qu'on se sent capable de lire. Ce peut être une vingtaine, trentaine ou cinquantaine de pages, mais tout aussi bien cinq ou dix pages. L'important ce n'est pas le volume, mais simplement d'avancer et de rester régulier.
Prenons l'exemple d'un classique bien connu, autant par son histoire que sa longueur : Les Trois Mousquetaires, d'Alexandre Dumas. En édition Folio, le texte fait exactement sept cents pages, sans compter le dossier. Ce texte peut sembler insurmontable, mais si l'on opère une simple division, on se rend compte que sa lecture est plus réalisable qu'on le pense.
Imaginez que vous vous fixiez un objectif d'une vingtaine de pages par jour, qui peuvent être lues en prenant votre café le matin, pendant votre pause déjeuner, ou le soir avant de vous endormir. Divisez les sept cents pages par vingt, et vous obtiendrez trente-cinq. Ce qui veut dire que vous allez lire ce livre en un peu plus d'un mois. C'est déjà excellent pour un si gros pavé !
Notez que vous pouvez aussi opérer le calcul de l'autre sens. Si vous vous fixez deux semaines pour lire le livre, il s'agira de diviser le nombre de pages par le nombre de jours décidé pour savoir combien de page par jour il vous faudra lire. Si je suis pressé pour le lire à cause d'un cours et que j'ai deux semaines pour l'achever, il me faudra donc lire 50 pages par jour. Un défi, mais c'est tout à fait faisable avec un peu de détermination !
2. Varier les formats en lisant autre chose
Quand on lit un livre relativement long, on sera immergé dans un monde et avec certains personnages pendant un bon moment. Cela fait du bien parfois de changer de lecture de temps en temps, afin de varier les plaisirs et de sortir de notre pavé pour mieux y replonger. Je note toutefois que cette solution est impraticable pour certains : une fois dans un livre, ils n'en sortent pas. Pas de souci à ce niveau, vous pouvez directement passer à la prochaine section de l'article. Pour les autres, voici deux idées de variantes :
Premièrement, il est toujours intéressant de lire un autre format pour changer de celui que vous êtes en train de lire. Si votre pavé est un roman (par exemple, La Chartreuse de Parme de Stendhal), pourquoi ne pas lire un peu de poésie pour le plaisir de la langue, ou un ouvrage documentaire pour se cultiver sur un sujet quelconque ? Si votre pavé est un livre qui n'est pas de la fiction (par exemple, l'Histoire de la Rome Antique, de Lucien Jerphagnon) pourquoi ne pas s'embarquer dans un roman ou une pièce de théâtre, une petite histoire qui nous distrait ? J'ai toujours trouvé que varier les formats était un moyen d'élargir mon champ de lecture en ayant constamment de nouvelles choses sous les yeux. Briser la monotonie est le meilleur moyen de rester engagé.
Ensuite, il peut aussi être intéressant de changer radicalement de sujet. Vous êtes perdu dans un pavé qui se déroule au temps des Pharaons ? Prenez un vaisseau direct pour l'espace avec le cycle Fondation d'Isaac Asimov : de quoi changer légèrement le paysage. Du même coup, si vous lisez un penseur moderne, allez voir ce qu'en aurait dit Aristote. Ces changements de sujets et d'époques vous apporterons non seulement de la diversité dans vos lectures, mais ils vous feront également faire des liens et des parallèles parfois improbables.
3. Chercher des éléments complémentaires à sa lecture
En parlant de parallèles, nous en venons à mon prochain point. Il s'agit en effet de lire plus, mais cela vous aidera certainement. Je m'explique.
Je suis de l'opinion que plus on comprend le livre qu'on lit, plus on apprécie sa lecture. Et certains livres ont parfois un contexte historique ou géographique bien précis, parfois relativement complexes. C'est pourquoi je recommande de lire quelques documents liés au sujet du livre, que ce soit sur son époque en général ou sur le sujet précis qu'il traite.
Par exemple, d'un point de vue historique, si nous lisons Les Croix de Bois de Roland Dorgelès, un livre qui se passe pendant la première guerre mondiale, il serait intéressant de connaître les armées qui y ont pris part, les différents dirigeants, et les grandes batailles de ce conflit. Si on lit Nord et Sud d'Elizabeth Gaskell, roman qui se passe pendant la révolution industrielle, vous apprécierez nettement plus le livre en sachant, dans les grandes lignes, les changements radicaux que la technologie a amenés à la société à cette époque.
Mais il ne s'agit pas forcément de lire un ouvrage d'histoire sur le sujet. Il y a d'excellentes vidéos sur YouTube qui font le résumé d'une époque, d'un conflit, de l'histoire d'une ville. Parfois, faire une pause de quelques minutes pour aller s'informer sur le contexte donnera une autre dimension à votre lecture et vous la rendra plus facile.
4. Lire des avis sur le livre qu'on lit
Il m'arrive occasionnellement de bloquer sur un classique "qu'il fallait absolument lire". Passé 100 pages, je m'ennuie toujours fermement et hésite à changer de lecture. Mais une petite astuce m'a parfois bien aidé.
Il s'agit d'aller lire en ligne des avis d'autres lecteurs sur votre lecture. Si le livre est réputé mauvais, rien ne vous sauvera, et peut-être que c'est tant mieux pour vous.
Mais si de nombreux lecteurs vantent les mérites du livre sur la toile, il se pourrait qu'il soit excellent, et que vous passiez donc à côté de quelque chose. Il est donc arrivé que la lecture d'un avis positif m'ait motivé à pousser sur une cinquantaine de pages en plus, qui ont suffi à me remettre dans le roman.
Dans d'autres cas, voir que la grande majorité ne trouvait que peu de satisfaction à la lecture du texte me confortait aussi sur mon propre jugement. Soit vous retrouver de la motivation, soit vous gagnez du temps : vous êtes souvent gagnants.
Il peut aussi arriver que malgré tout, le livre ne vous plaise définitivement pas. Cela arrive, pas besoin de forcer, passez au suivant.
5. Faire des pauses
Cela peut certes sembler bête et aller de soi, mais il s'agit tout de même de le mentionner. Faîtes des pauses.
Poser le livre, allez faire une balade. Préparez-vous un thé, accordez vous un encas. Lire est une activité qui demande toute votre concentration, vous dépensez donc beaucoup d'énergie. Votre corps a aussi besoin de se détendre, vos yeux de se reposer, votre esprit de digérer ce que vous lui montrez.
Non seulement cela vous aidera à terminer votre pavé sans en être dégouté, vous assimilerez également mieux son contenu.
6. Cas pratique : comment j'ai lu Guerre et Paix en utilisant ces techniques ?
Bien que je sois certes un grand lecteur, je mentirais tout à fait si je vous disais qu'aucun pavé ne me fait peur. En vérité, les grands livres ou grandes oeuvres que je n'ai pas encore commencés, par peur de me faire avaler tout mon temps, sont légion. Pour en nommer que quelques-uns, nous avons : La Recherche du temps perdu (Proust), Les Mémoires d'Outre-tombe (Chateaubriand), L'homme sans qualité (Musil), Le Journal de Jules Renard (Renard), et plein d'autres.
Heureusement, j'ai plusieurs fois surmonté certains de ces challenges. Mais si je devais vous conter ma plus grande victoire de lecteur, ce serait celle-ci.
Alors que je travaillais sur mon travail de master, un tiers de celui-ci portait sur un roman russe que tout le monde connait : La Guerre et la Paix, de Léon Tolstoï. C'est certainement un des pavés les plus intimidants de la littérature russe, et peut-être même de la littérature tout court. Il était là, dans ma bibliothèque, prenant toute la place dans un volume entier de la pléiade. Comment donc, aborder ce titan qui dépasse les 1500 pages ? En appliquant les conseils susmentionnés, bien sûr.
Limité par le temps, je ne devrais pas trop trainer. J'ai commencé par me fixer environ un mois pour le lire. Après de savants calculs, je suis arrivé sur 50 pages par jour. Je m'autorisais donc à lire plus mais jamais moins. Ceci peut sembler beaucoup mais n'oubliez pas que je ne faisais que travailler sur ma thèse.
Ensuite, j'ai fait bien attention à garder des lectures loisirs, soit le soir, soit pendant mes pauses de travail. Plongé dans la Russie du début du 19ème pendant la journée, cela me faisait du bien de lire un poème plus léger ou de partir dans l'espace avec Asimov avant d'aller dormir.
Naturellement, j'ai aussi dû lire beaucoup de littérature autour du livre, que ce soit des analyses générales de l'oeuvre, des écrits sur le contexte historique des guerres napoléoniennes et la campagne de Russie ou encore des essais sur le sujet de ma thèse : la guerre. Ceci me permettait de mieux comprendre l'histoire et d'avoir de nombreux éclaircissement sur des faits qui m'auraient autrement paru bien obscurs.
Quand ma motivation baissait – car elle a parfois baissé – je lisais quelques articles et revues sur le livre qui en faisait les éloges. Dans le cas de ce livre, ce n'était pas bien difficile, étant donné qu'il est admiré et acclamé dans le monde entier. Dans tous les cas, lire quelqu'un qui vous dit que ce sera peut-être le meilleur livre que vous ayez jamais lu aide grandement votre motivation.
Finalement, j'ai toujours pensé à faire des pauses. Je n'ai jamais tenté d'avaler 50 pages de pléiade d'une traite, bien au contraire. Surtout que c'était une lecture où je prenais des notes, ce qui ralentissait encore plus le processus. Toutes les 10 ou 15 pages environ, je m'accordais une pause-café, une promenade avec mon chien, voire une petite sieste. Rien de tel pour reposer son esprit afin d'en faire un meilleur usage sur le long terme.
Conclusion
Et voilà comment, avec un peu de discipline et quelques stratégies, j'ai pu venir au bout de Guerre et Paix en un mois. C'est surprenant, mais je n'ai même pas eu l'impression que le livre était si long que ça. Même si certains jours, j'ai eu beaucoup de peine à atteindre mon objectif de 50 pages, il y en avait d'autre où j'aurais encore volontiers pu continuer à lire.
Est-ce qu'il y a encore des livres qui me font peur ? Évidemment. Se lancer dans un immense pavé, ou même une saga de plusieurs livres peut parfois être intimidant. Pour ma part, c'est presque irrationnel : je vois tout ce temps pris par l'oeuvre en question comme autant de temps que je ne passerai pas à découvrir autre chose. C'est comme un investissement couteux qui ferait mieux de payer.
Mais même si je suis parfois intimidé et que j'ai peur d'investir autant de temps dans la lecture d'une oeuvre imposante, au moins, j'ai les armes pour m'y atteler avec confiance si le désir m'en prend.
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