Les Mémoires d’Hadrien de Marguerite Yourcenar (1951)

« Les Mémoires d’Hadrien » de Marguerite Yourcenar, témoignage du plus sage et du plus vertueux des empereurs romains

Les Mémoires d’Hadrien de Marguerite Yourcenar (1951)

Vous êtes-vous déjà demandé comment ce serait d’être un des hommes les plus puissants du monde ? D’avoir sous votre commandement un territoire si vaste que vous ne pourriez le visiter, des richesses inépuisables, des centaines de milliers d’homme prêts à mourir pour vous ? Et avec tout ce pouvoir entre les mains, qui deviendriez-vous ? Ne serait-il pas facile de sombrer dans la folie, la négligence de ses devoir, ou pire, la tyrannie ?

S’il est un empereur romain qui jamais n’aura failli à son devoir, c’est bien Hadrien. Et laissez-moi vous dire que ses hauts faits ne se limitent pas à la construction d’un immense mur en Bretagne. Successeur de Trajan, il dévouera sa vie à son peuple, qu’il servira avec toute la ferveur, la sagesse et la bonté que lui ont donné les dieux.

Les « Mémoires d’Hadrien » sont un mélange de souvenirs, d’histoires et de poésie. Je ne saurai dire comment fait Yourcenar pour opérer cette magie, savoir-faire d’un métier que tant exercent mais où si peu excellent. Tout ce que je sais, c’est qu’en lisant ce roman, nous sommes Hadrien. De sa tendre enfance à son lit de mort, on le suit dans ses souvenirs adressés à son petit-fils, Marc-Aurèle. Il lui raconte les difficultés de la vie d’un empereur : les vastes royaumes à gérer, les révoltes à mater, les hommes à satisfaire, les paix à conserver, les complots à déjouer et les débats au Sénat qu’il faudra remporter.

Ce qui m’a particulièrement touché, c’est comme Hadrien sait pertinemment que même Rome ne durera pas. L’idéal immortelle acclamée par tant de romains – autant par les simples citoyens que par les empereurs –, de la Rome toute puissante, invincible, parfaite et éternelle est simplement rejeté par le réalisme d’Hadrien. Mais même face à cette fatalité, Hadrien tient à servir jusqu’à son dernier souffle et de passer le flambeau à des hommes dignes et assez forts pour le tenir haut le plus longtemps possible.

Toute sa vie, il se souciera du bien-être de son peuple et des siens, il règnera de manière juste et équitable. Son humilité le poussera à refuser les titres honorifiques attribués aux Césars lors de leur ascension au pouvoir. Il n’a que faire des droits du sang, il veut mériter ses médailles avant de les porter. Il sera aussi question de voyages en Égypte, de l’érection du mur qui portera son nom en Grande Bretagne, de son amour pour le monde hellénique et tout particulièrement Athènes, à ses passions amoureuses et amicales et à sa soif pour la lecture. Portrait d’un humaniste en avance sur son temps, qui gardera toujours une foi profonde en l’homme.

Le plus bel hommage qui nous reste au Divin Hadrien Auguste, Fils de Trajan, Conquérant des Parthes, Petit-Fils de Nerva, Grand Pontife, Revêtu pour la 22ème fois de la puissance Tribunitienne, Trois fois Consul deux fois triomphant, Père de la Patrie.

À lire et à relire à l’infini, car une fois que vous aurez rencontré Hadrien, il vous accompagnera pour la vie. Pas étonnant qu’il siège très haut dans les rangs des classiques de la littérature française.

Je ne méprise pas les hommes. Si je le faisais, je n'aurais aucun droit, ni aucune raison, d'essayer de les gouverner. Je les sais vains, ignorants, avides, inquiets, capables de presque tout pour réussir, pour se faire valoir, même à leurs propres yeux, ou tout simplement pour éviter de souffrir. Je le sais : je suis comme eux, du moins par moment, ou j'aurais pu l'être. Entre autrui et moi, les différences que j'aperçois sont trop négligeables pour compter dans l'addition finale. Je m'efforce donc que mon attitude soit aussi éloignée de la froide supériorité du philosophe que l'arrogance du César. Les plus opaques des hommes ne sont pas sans lueurs : cet assassin joue proprement de la flûte ; ce contremaître déchirant à coups de fouet le dos des esclaves est peut-être un bon fils ; cet idiot partagerait avec moi son dernier morceau de pain. Et il y en a peu auxquels on ne puisse apprendre convenablement quelque chose. Notre grande erreur est d'essayer d'obtenir de chacun en particulier les vertus qu'il n'a pas, et de négliger de cultiver celles qu'il possède.

Éditions Folio

400 pages